L'orgueil
rating: K+
personnages principaux: Hedwige, le duc de l'Orgueil
Il faisait nuit
maintenant. Une brume épaisse sortait de la forêt et
s'étendait sur le parc. À l'orée du bois, abrité
derrière le large tronc d'un arbre biscornu, se tenait un
homme d'un certain âge. Ses cheveux blancs, coiffés en
catogan, faisaient ressortir les traits émaciés de son
visage sévère. Les deux yeux d'un bleu délavés,
tirant sur le mauve, semblait n'avoir jamais souri et étaient
surplombés de fins sourcils, haut placés sur le front.
Cet homme au corps élancé, portait en cet instant
redingote, col dur et bouton de manchettes. Son aspect guindé
n'empêchait pas de laisser transparaître dans les gestes
une aisance certaine.
Le vent se
leva. Les nuages se mirent en mouvement. La lune se découvrit,
baignant le parc d'une douce lumière. Au loin le château
se découpait dans un rayon de lune. Quelques fenêtres
étaient encore éclairées. Un léger
brouhaha provenait de la volière où les oiseaux
commençaient à s'agiter pour aller chasser. L'homme
observait calmement les allées et venues des volatiles. Puis,
lorsque de nouveau l'astre lunaire disparut derrière un épais
nuage, il murmura quelques mots. En un sifflement, le voilà
haut dans le ciel. Il ne restait de lui que ce regard clair et froid,
ainsi que la couleur de son plumage, rappelant aisément celle
de son costume: pennes noires, plumes gris taupe et duvet blanc.
Profitant des courants ascendants, il plana tranquillement jusqu'à
la volière, à l'entrée de laquelle il se posa
majestueusement.
Jetant un
regard circulaire sur ses comparses, l'épervier avisa une
chouette blanche, perchée tout en haut, dominant ainsi la
volière, et dormant pour le moment. Alors, une onde dorée
se diffusa dans la pièce circulaire balayée de courant
d'air, s'éleva jusqu'à l'effraie blanche et
l'enveloppa. Quelques minutes plus tard, Hedwige, car c'était
elle, ouvrait un oeil agacé. Mais qu'est-ce qui la réveillait
ainsi au milieu de la nuit? Elle aperçut alors le superbe
épervier qui l'observait depuis la fenêtre. Celui-ci la
provoqua d'un cri, semblant la défier. Hedwige l'ignora
superbement, détourna la tête avec un air de mépris
bien affiché.
L'épervier
se jeta alors dans les airs, lançant un cri perçant qui
sonna comme une insulte aux oreilles de la chouette. Cette dernière
finit alors par s'élancer à la suite du rapace. À
ce moment-là, quiconque aurait levé les yeux au ciel
aurait aperçu une drôle de poursuite dans les nues. Plus
qu'une poursuite: il s'agissait en réalité d'une lutte.
Le vainqueur serait celui qui parviendrait à montrer sa
supériorité à l'autre. C'était à
qui aurait le vol le plus majestueux, tout en étant le plus
rapide. L'épervier avait cet avantage qu'il n'avait pas volé
de la journée: il était parfaitement frais et dispos,
et cela se ressentait. Mais Hedwige redoubla d'effort. Cependant,
malgré ce regard qui l'insupportait au plus haut point –
presque humain pensait-elle – la chouette ne pouvait
s'empêcher d'admirer la grâce du rapace, et un hululement
d'admiration lui échappa lorsque ce dernier passa dans un
rayon de lune et que son plumage se mit à luire, le temps de
quelques secondes. Ce son lui échappant la sortit de sa
rêverie: cet oiseau était peut-être admirable,
mais cela ne lui donnait en rien le droit de l'éveiller en
pleine nuit! Non mais pour qui se prenait-il? Quand on avait un
minimum de savoir-vivre, on n'éveillait pas une dame de haute
lignée! Toute sa famille était de la même race et
était fière de sa spécificité, à
savoir un plumage immaculée. Aucune plume plus sombre ne
s'était jamais glissée au milieu des autres, et ce
depuis des générations... Il était temps de
montrer à cet énergumène qui elle était!
Mais après
une demi-heure de vol, la chouette commença à fatiguer.
Son vol n'était plus régulier, et l'épuisement –
c'est bien connu – n'améliore guère la beauté
d'un individu. Or Hedwige n'en pouvait plus et rester digne devenait
bêtement impossible. De plus elle perdait du terrain sur son
adversaire. L'épervier lui jeta un regard méprisant, ce
qui acheva de briser la pauvre Hedwige, qui s'en retourna déconfite
et désappointée à la volière.
« Hedwige!
Tu veux bien descendre s'il-te-plaît? J'ai une lettre à
envoyer. » Harry tentait vainement de faire descendre sa
chouette. Mais qu'était-elle allée se percher tout en
haut? Pour toute réponse, celle-ci lui lança un regard
glacial et lui tourna le dos. « Bon très bien, si
tu le prends comme ça, je vais demander à Coq... »
Il n'eut pas le temps d'achever se phrase que déjà
l'effraie fondait sur lui. Il attacha le parchemin à sa patte
et lui caressa doucement les plumes. « Tiens? Tu as des
plumes noires maintenant? » Si Harry avait à cet
instant regardé par la fenêtre, il aurait vu un homme
quitter le parce du château dans le soleil levant: le duc de
l'Orgueil avait vaincu, une fois de plus.