La colère
rating: K+
personnages principaux: la Grosse Dame du portrait, la baronne de la Colère
La Grosse dame avait passé une
fort mauvaise journée: trois élèves avaient
oublié le mot de passe – Ira furor brevis n'était
pourtant pas sorcier à retenir, si? – et pas moins de deux
élèves étrangers à la tour avaient réussi
à s'infiltrer. Il était minuit passé et un
cancre venait tout juste de la réveiller pour passer. Elle
avait cédé, non sans l'avoir traité de tous les
noms d'oiseaux. Elle était maintenant éreintée
et n'aspirait qu'à dormir.
Tout dans le
château était silencieux désormais. Pas un
soupir, pas le moindre bruit. Tout ce calme ne laissait en rien
présager l'éclat qui allait se produire. Dehors, la
lune régnait, placide, sur la nuit. Dans les couloirs, pas un
chat, pas même Miss Teigne. Personne. Personne? Mais à
qui appartenait donc cette ombre qui avançait d'un pas vif le
long du corridor du septième étage. Un bruissement
d'étoffe. Un toussotement. Un raclement de gorge. « Hep! »
La Grosse dame sursauta. Qui osait ainsi la déranger alors
qu'elle venait à peine de s'endormir?
« Baronne
de la Colère. J'ai besoin d'entrer.
- Pour cela, j'ai
besoin du mot de passe, chère Madame. » rétorqua
le portrait, non sans un brin d'ironie. Ses nerfs commençaient
lentement à la démanger. Pour qui se prenait cette
grosse femme? Non mais elle s'était regardée dans un
miroir avant d'oser se promener dans le couloir? La Grosse dame était
tout simplement aveuglée pour observer objectivement cette
baronne. Certes large et charpentée, elle n'en dégageait
pas moins une dignité froide. Sa chevelure d'un roux
flamboyant resplendissait dans l'obscurité et semblait se
refléter dans son regard brûlant. Son ample robe grise
répandait autour d'elle une atmosphère glacée.
Si la dame rose y avait prêté attention, elle se serait
rendu compte à temps qu'il ne fallait pas contrarier l'aînée
des Sept Péchés; celle-ci n'était pas tiède
femme de compromis.
« N'avez-vous
pas entendu ce que j'ai dit? Je veux entrer.
- Si vous n'avez
pas le mot de passe, vous n'entrez pas.
- Très
bien. » Et l'irritable femme de s'en retourner. Étonnant
me direz-vous? Pas si l'on vous apprend que quelques mètres
plus loin, elle se dissimula derrière une tenture. Quiconque
serait passé dans le couloir à ce moment-là
aurait perçu une aura sombre et vibrante. Peu de temps après
apparaissait un élève, demandant à entrer. Le
portrait grogna mais s'exécuta. Et un long défilé
commença. Les élèves arrivaient, un par un, et
donnait le mot de passe. Plus les heures passaient, moins le temps
qui s'écoulait entre chaque nouvel élève était
long. La dame rose sentait la moutarde lui monter au nez. Elle
perdait patience. Elle ne grognait plus, elle enguirlandait. Elle
criait. Puis elle se mit à hurler des injures à un
pauvre élève qui n'en avait pas tant demandé.
L'estimant à
point, la Colère revint à la charge. « Je
dois entrer.
- NON! s'époumona
la Grosse dame. Non vous n'entrerez pas espèce de harpie! Vous
n'avez pas le mot de passe, vous n'entrez pas! Est-ce clair?
- Très.
Cependant, vieille morue, vous allez me laisser entrer. »
répliqua d'un ton glacial la baronne, sans élever la
voix d'un pouce. Le portrait se mit alors à l'injurier. Durant
de longues minutes, elle ne cessa de croasser toutes les insultes
qu'elle connaissait. On sentait émaner de la Colère un
froid qui aurait pétrifié le premier venu. Ses yeux
flambaient, ses cheveux semblaient animés d'une vie propre et
ondoyaient nerveusement autour d'elle, telles des tentacules autour
d'un poulpe. Comment un simple portrait osait-il attaquer l'honneur
de l'aînée des Sept? Cette dernière leva la main,
non en signe de paix, mais pour menacer ce tableau qui allait finir
par éveiller tout le château de ses cris.
Puis d'un coup
d'un seul, la voix de la Grosse dame se brisa: elle resta coite de
stupeur. « Je suppose que vous voilà satisfaite?
demanda l'incarnation de l'ire sacrée. Je peux entrer
maintenant? » La Grosse dame s'écarta et laissa
passer son vainqueur. Un regard de glace soutint le sien, comme en
remerciement.
« Ira
furor brevis! » La dame rose sursauta, s'éveilla et
observa le jeune élève qui se tenait devant elle. Elle
le laissa passer. Puis, se souvenant de son rêve, elle jeta un
rapide coup d'oeil alentours et sortit de son cadre pour aller le
raconter à son amie Violette. Ce qu'elle ne vit pas, c'était
cette plume incarnat qui s'était plantée dans son
chignon.